Taos Amrouche
Ambassadrice de la culture kabyle
Taos est la descendante d’une longue lignée de femmes combattantes. Elle est la fille de Fadhma Aït Mansour, fille de Aïni Aïth Laarbi-ou-Saïd. Fadhma est une enfant de l’amour, mais elle est vue par la société comme l’enfant de la honte.
Née hors mariage, elle n’est pas reconnue par son père. Aïni doit affronter seule la pression de la société en cette fin du XIXe et les difficultés de la vie pour élever sa fille. Elle confie Fadhma aux Sœurs-Blanches des Ouadhias puis à l’école laïque de Taddert-ou-Fella près de Fort National. Lorsque cette école ferme ses portes, Fadhma retourne à son village natal. Elle apprend à carder la laine, faire la cuisine, le tissage et la poterie. Elle s’initie au chant en écoutant sa mère. A seize ans, elle repart pour travailler à l’hôpital chez les chrétiens où, une fois de plus, elle est montrée du doigt, "elle vient de la laïque". Dans cette situation, le combat et la résistance pour vivre, hérités de sa mère, l’empêchent de sombrer dans le désespoir. A l’âge de dix-huit ans, elle se marie avec Belkacem Amrouche. Il est originaire d’Ighil-Ali. Lui aussi est élevé par les Pères-Blancs. Il a été déjà fiancé dans son village. A son tour, il défie l’interdit familial, nouvelle transgression, que Fadhma devra assumer à nouveau. Le couple vivra en dehors du village puis émigrera à Tunis. La famille Amrouche déménagera onze fois en l’espace de quelques années.
Déchirement et dualité
C’est loin de la terre de ses ancêtres, à Tunis, que Marie-Louise Taos va naître, le 4 mars 1913. Elle grandit partagée entre le souvenir d’un pays abandonné - vécu par ses parents - et la réalité de la terre d’accueil. La famille Amrouche, bien que naturalisée française, éprouvera toujours des difficultés d’intégration. Taos écrira dans son autobiographie : "J’ai toujours eu le sentiment d’être restée Kabyle." Et d’ajouter : "Jamais, malgré les quarante ans que j’ai passés en Tunisie, malgré mon instruction française, jamais je n’ai pu me lier intimement ni avec les Français ni avec les Arabes." Cette dualité apparaît même dans les prénoms des enfants Amrouche. Ils portent tous deux prénoms, l’un catholique et l’autre berbère. Ils sont porteurs de deux cultures (Marie-Louise Taos, Jean El Mouhoub, Henri Achour…). Cette justaposition des prénoms reflète l’envie de cette famille de concilier deux univers contradictoires du Maghrébin et de l’Européen, ce qui est très difficile. Dans Au dos de solitude, ma mère, l’un de ses romans, Taos relate les difficultés à vivre cette duplicité culturelle : "La fatalité qui me poursuit, je sais aujourd’hui qu’elle est le lot de tous les déracinés à qui on demande de faire un bond de plusieurs siècles. Ignorante, poussant au gré du souffle rude de nos montagnes, mon destin eût été celui de notre tribu, issue d’une orgueilleuse famille. Ni Racine, ni Mozart ne m’eussent manqué. C’est la civilisation qui a fait de moi cet être hybride. Pourquoi faut-il que le flambeau qu’on se flatte de porter aux populations primitives provoque des déchirements et rend inaptes au bonheur tous ceux qui me ressemblent ?" Ce questionnement est la principale problématique de l’ère post-coloniale. Il englobe les discours de tous les exilés à travers le monde. C’est de leur mère Fadhma que Marie-Louise et Jean El Mouhoub hériteront le vaste répertoire de chants traditionnels et rituels berbères : chants liés aux travaux de la terre ou aux grands événements de la vie.
Le parcours artistique
Peu à peu, Taos interprète un de ces chants en public. En 1937, à Paris, elle monte son premier répertoire. En 1939, elle se rend au congrès de la musique marocaine de Fès où, pour la première fois, elle présente quelques chants rituels berbères du Djurdjura. Remarquée à cette occasion par Maurice Legendre, directeur de la Casa Velasquez de Madrid, il lui propose de rejoindre cette institution et elle accepte. De 1940 à 1942, elle fait des recherches pour trouver les liens entre le chant berbère et le Cante Jondo et en même temps, elle apprend la langue espagnole. Ainsi, Taos Amrouche interpréta des chants espagnols avec la complicité de la musicologue Yvette Grimaud qui les transcrira. Ces chants seront déposés à la Sacem. Elle les enregistrera plus tard sur un album intitulé Chants espagnols archaïques de la Alberca, publié par Arion en 1972.
C’est au cours de son séjour en Espagne qu’elle rencontre le peintre André Bourdil avec qui elle se mariera. Le couple s’installe un temps à Tunis avant de partir pour Alger. En 1945, ils s’installent définitivement en France et, rapidement, Taos sera reconnue par les milieux artistiques comme la spécialiste des chants berbères. L’écrivain Jean Giono dira de ces chants qu’ils sont "l’expression même de la passion et du pathétique d’une race à son origine". Ainsi, à partir de 1950, elle travaille à la radio (RTF-ORTF) et commence à animer des chroniques littéraires en langue kabyle sous la référence "Chants sauvés de l’oubli - Monodies berbères de Marguerite Taos". Reconnue comme ambassadrice de la culture kabyle, elle se rend à de nombreux colloques (Orléans, Florence, Rabat…).
Enregistrement et succès
Son premier album Florilège de chants berbères de Kabylie est enregistré pour le label BAM en 1966 et obtiendra le grand prix de l’Académie du disque français. Il a été réédité bien après sa mort par le label parisien Buda dans sa collection "Musique du monde". Deux ans plus tard, paraît le recueil Chants de procession - Méditations et danses berbères. En 1969, Taos chante trois chants berbères dans Remparts d’argile, le film franco-algérien de Jean-Louis Bertucelli. Sélectionné par la Semaine de la critique au Festival de Cannes, ce film a connu un immense succès. En décembre 1971, Taos donne cinq concerts au Théâtre de la Ville (Paris). Cette même année, Arion lui propose d’enregistrer Chants de l’Atlas - Traditions millénaires des Berbères d’Algérie, le premier de la collection des cinq albums. Elle donne son dernier concert le 14 juin 1975. Taos Amrouche décédera le 2 avril 1976 dans le village de Saint-Michel. C’est là qu’elle sera enterrée, loin de la terre de ses ancêtres.
Par Farida Berrabah
Chants berbères de la meule et du berceau
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